(▽) Lenny, un diminutif pour un vieux prénom aujourd'hui oublié. L'original s'est effacé il y a longtemps, au point que seul Lenny subsiste sur les papiers officiels. Peut-être l'intéressée se rappelle-t-elle encore de son premier matricule mais quelle importance, il n'a plus aucun usage. Ce n'est pas qu'elle apprécie particulièrement ce prénom Lenny, elle lui trouverait même un je-ne-sais-quoi d'agaçant, à la fois trop court et pas assez long, puis il devient décidément trop jeune pour la femme qu'elle est. Lenny, ça sonne si enfantin.
(▽) Diplômée depuis un an et des broutilles, elle a durement gagné son titre de docteur et a bien en tête que le chemin ne s'arrête pas là. Qu'on la prenne pour une infirmière l'agace, les clichés ont la vie dure mais elle sert les dents, reprenant parfois celui ou celle qui aura fait l'erreur. Malgré ces années d'internat, elle a bien conscience de son manque d'expérience et attend patiemment le jour où elle sera une professionnelle avertie. D'ici là, elle observe, analyse, retient avec toute la minutie dont elle peut faire preuve dans le rythme effréné du centre médical. La hiérarchie y est des plus strictes et elle a appris à rester à sa place, quitte à se faire traiter en stagiaire comme tant d'autres avec elle.  
(▽) Peut-être l'une des plus brillantes élèves de sa promo, même s'il avait fallu cinq ans et non quatre pour boucler ces études. Un stupide accident qui l'a coincé sur un lit, faisant capoter son année au passage. Lenny a gardé de ce temps estudiantin révolu une importante résistance à la tâche et une exigence extrême envers elle-même. Deux caractéristiques qui expliquent sûrement son efficacité, discrète mais indéniable, dans son service.
(▽) Le background de la demoiselle ne la place pas parmi les plus privilégiés. Englewood, Chicago, c'est là où elle a passé la majeure partie de son existence. Un quartier résidentiel en banlieue, ses gangs, son traffic de drogues. Ce qu'elle a pu haïr tout ça pour le mal que cela a fait autour d'elle. Elle en a pansé des plaies, elle en a épongé du sang. Avec parfois des remontrances, ou simplement des râles et quelques jurons. C'était comme de tout, il y a eu des hauts et des bas, surtout beaucoup d'amour, d'entraide. Du soutien comme seule ressource mais une ressource inépuisable qui pouvait absorber toute la misère. Alors oui, elle vient peut-être des bas-fonds de Chiraq. Lenny n'en est pas moins fière de ses origines et des valeurs que cela lui a apporté.
(▽) Avant l'école de médecin, elle a passé quatre ans à enchaîner les petits boulots pour récolter l'argent nécessaire à de si coûteuses études, en plus du prêt qui la suivra jusqu'à Dieu sait quand. La fin justifie les moyens pas vrai ? Peu sont ceux qui peuvent se vanter avoir réussi à payer aisément ces sommes astronomiques demandées par les universités, Lenny n'est certes pas la seule à s'être échinée sur des calculs impossibles. Elle se sent chanceuse d'avoir trouvé du travail en temps voulu même si tout n'était pas rose, loin s'en faut. Maintenant que tout ça est derrière elle, elle est presque à y repenser avec nostalgie. N'est-ce pas ce qui l'a amené là après tout ?
(▽) On l'aura compris, la médecine c'est toute sa vie. Pas vraiment le choix de faire autrement en réalité, son métier est des plus chronophages et dicte irrévocablement son emploi du temps. Cependant si elle avait pu choisir, pas sûre qu'elle y aurait mis la moindre différence. Elle est bien ainsi, elle aime se savoir utile, elle aime s'oublier au profit du plus grand nombre. C'est tellement plus facile de se fixer des petits objectifs journaliers et de ne pas penser au futur. Sa carrière prend toute la place, on le lui reproche. Bientôt trente ans, sans enfant ? Pas même l'ombre d'un fiancé en vue ? Il serait temps de penser à la génération future ! Lenny évince la question ou se fend en une remarque ironique. A dire vrai, elle n'en était pas si loin avec son dernier copain, des bague au doigt giclée de riz et ventre rond. Mais ça n'est pas arrivé et c'est certainement pour le mieux.
(▽) Bien qu'hétérosexuelle, Lenny n'a pas eu de relations sexuelles qu'avec des hommes. Elle n'en parle pas et y accorde peu d'importance, considérant que cela ne remet en rien en cause son orientation sexuelle.
(▽) Elle donnerait tout pour avoir les talents de cuisinière de sa mère mais vache! elle en est loin. Rien de comestible ne sort de ces fourneaux (qu'elle n'a de toute façon pas) et la légende dit qu'elle serait capable d'empoisonner quelqu'un par mégarde avec ses plats. Pourtant, la cuisine c'est tout. La chaleur que cela a pu lui apporter, enfant, quand la maison sans chauffage laissait entrer l'hiver, quand les trous des vitres et murs laissaient passer la pluie. Le réconfort que cela pouvait donner après un gros chagrin, elle pouvait y sentir de l'amour aussi sûrement que si sa mère l'avait prise dans ses bras. La cuisine c'est la joie du don, du partage. Lenny se rappelle l'air embaumé, la longue table faite de bric et de broc dans une salle qui devenait vite petite tellement s'entassaient parents frères et sœurs et encore des invités, collègues ou voisins. Elle avait alors dans le cœur un fort sentiment d'appartenance qu'elle ne comprenait pas vraiment et qui lui manque parfois quand elle mange seule un plat réchauffé au micro-onde dans son studio d'adulte.
(▽) Il n'y a pas vraiment de façon de le dire correctement mais il ne paraît pas possible de passer outre cette 'anecdote' en quatre lettres : viol. Pas une de ces histoires horribles qu'on imagine, plutôt une histoire toute simple, presque banale. Malheureusement banale. C'était son premier vrai copain, elle avait seize ans, il avait envie, elle pas. Elle n'a pas fait le lien tout de suite et quand elle l'a eu compris, ils avaient rompu depuis longtemps. L'histoire semblait dépassée, à quoi bon en reparler ? Et puis c'est resté sous silence, ce n'est jamais le bon moment, ce n'est pas si grave. Cela lui semble si léger comparé à son enfance, les coups de feu, la peur que quelqu'un fasse une connerie, les bandages de fortune qu'elle faisait à ses frères et sœurs avec à chaque fois l'espoir que ce soit le dernier. Elle pourrait en citer des dizaines, d'incidents plus graves, cependant elle ne peut pas nier que celui-ci a laissé sa marque.
(▽) Gamine, son truc c'était les jeux vidéos, le chant et les comics. Elle n'a guère plus le temps pour grand chose et son intérêt s'est terni avec les années mais elle chante toujours, souvent sans y penser. Une chance que sa voix soit agréable à écouter car c'est un tic qu'elle a peine à enlever. Elle chante sous la douche, dans la voiture, en ouvrant la porte, en marchant, elle chante pour réfléchir ou s'empêcher de réfléchir, elle chante quand elle est seule ou quand elle croit que personne ne fait attention.
(▽) Un chat trouvé dans la rue lui tient compagnie. On ne peut pas vraiment dire que c'est "son" chat, il pourrait très bien appartenir à quelqu'un d'autre pour ce qu'elle en sait. Elle le nourrit et le caresse, il squatte son canapé et l'accompagne le matin jusqu'à sa voiture.
(▽) Lenny s'il le fallait, elle donnerait son rein gauche pour aider les personnes qu'elle aime. Ou même le premier inconnu qui passe s'il en a vraiment besoin. Sans une seconde de doute, sans rien attendre en retour. Elle sait ce que c'est que d'être dans le besoin alors elle donne. Pour autant elle est loin de la douceur Soupline : les piques acérées elle connaît, elle a d'ailleurs presque autant de répartie avec ses poings. Verbalement ou physiquement, soyez assurés qu'elle rendra coup pour coup.