Amelia se rendit compte qu'elle n'avait jamais vraiment mourru de chaud avant aujourd'hui. Avant d'être balancée dans le désert par son équipe, sûrement en tant que bizutage, afin de tenter de découvrir des lieux encore inconnus aux autres équipes. La sueur perlait le long de sa colone vertébrale, sur sa nuque, sur son visage tout entier. L'étoffe utilisée pour faire barrière entre le soleil et sa boîte crânienne n'était plus suffisante depuis des heures, et les ressources d'eau étaient épuisées. Ni son compagnon de voyage, Gangsta – un pseudo qu'elle ne remettrait pas en question vu la gueule du bonhomme – ni elle n'ayant été préparés à une expédition dans le désert, ils n'avaient pas utilisés leurs ressources à bon escient. Qu'à cela ne tienne, ils allaient crever comme des minables entre deux-trois grains de sable et on aurait déjà oublié qu'on les avait envoyés ici. Personne pour les secourir. Juste de la poussière dans les orifices, et des futurs sqelettes qui serviraient de tanière aux termites. Amelia broyait du noir et imaginait les pires scénarios quand Gangsta brisa le silence qui s'était installé entre eux peu après avoir quitté Camden Church, ce qui lui semblait être une éternité plus tôt. « J’débloque ou tu vois ce que je vois ? » La brune jeta un coup d'oeil à l'homme qui l'accompagnait et suivit son regard, jusqu'à cet îlot qu'elle n'avait pas encore remarqué.  « Putain de merde ! » siffla-t-elle, en dévorant du regard l'oasis qui se dressait plus loin parmi les dunes. Tous deux s'y précipitèrent, dans l'espoir de se désaltérer suffisament pour survivre un peu plus loingtemps. Mais devant l'appréhension de Gangsta, Wolfe hésita aussi.  « Trop aimable. » lâcha-t-elle finalement d'un air narquois en s'agenouillant devant la source. La jeune femme glissa ses mains dans l'eau fraîche et lâcha un gémissement d'aise ; elle avait bien cru ne jamais plus ressentir quelque chose d'aussi agréable de toute sa vie. Même l'eau lui parut si bonne qu'Amelia ne put plus arrêter de boire. Elle s'aspergea le visage, détrempa son cou et son tee-shirt, plongea toute la tête dedans. Et plus soudain, la brune fut prise de vertige.  « Oh la ... » Elle tituba et se releva, en manquant de tomber. Ses jambes étaient trop légères, et elle ne sentait plus le bout de ses doigts. Dans un grognement, Wolfe lança en observant ses ongles :  « C'est bizarre, je … J'me sens pas bien. Ou trop bien. J'en sais rien. » Lentement, elle releva les yeux vers son compagnon d'infortune. Mais c'est un monstre qu'elle découvrit devant elle, un monstre qui avait vaguement l'apparence de Gangsta. La même taille, la même carrure, mais c'était tout. Ses yeux brillaient d'une lueur carmin menaçante. De ses oreilles pointues sortaient des touffes de poil immenses. Le bave coulait le long de son menton, tandis que ses doigts crochus et griffues ruisselaient de sang. Ses vêtements, déchirés, laissaient entrevoir là aussi un corps répugnant et inomable. La jeune femme secoua la tête de gauche à droite et recula d'un pas, puis d'un autre. Elle attrapa à la volée la faucille accrochée à sa ceinture qu'elle pointa en direction de la bête.  « Où est Gangsta ? Où est-il ? Qu'est-ce que vous lui avez fait ? » balbutia Wolfe en balayant de son regard sombre les environs, dans l'espoir qu'il soit là, quelque part. Mais rien. C'était le vide intersidéral.  « Je vous préviens, si vous approchez, je vous égorge et je bouffe au repas. Quoi que vous soyez, vous allez dégager. » Amelia serait prête à s'élancer vers lui pour lui enfoncer dans le cœur s'il l'attaquait.

«J'sais pas ce que t'as pris, mais moi, j'suis ton pote. Gangsta, c'est moi. Toi t'es Wolfe. Et moi c'est Gangsta. Wolfe, Gangsta, s'en vont en mission. Tu te souviens ? » Wolfe fronça les sourcils et secoua la tête de gauche à droite. C'était incompréhensible. A s'en arracher les cheveux de la tête. Ce monstre, cette chose ou quoi qu'il soit essayait de lui retourner le cerveau. C'était sûrement ainsi qu'il avait eu Gangsta et l'avait dévoré ou fait disparaître. Elle ne pouvait pas avoir confiance en une créature pas tout à fait humaine qui l'appelait par son pseudo, qui connaissait celui de son coéquipier et savait pourquoi elle était là.  « C'est pas possible. Gangsta n'a pas … La peau verte, des yeux rouges et … Il n'a pas les doigts plein de griffes, il ne bave pas comme un chien affamé et n'a pas non plus de poil dans les oreilles ! » La brune glissa ses mains sur son visage, absolument terrifiée, en tapa du pied en jurant. La bête n'avait pas l'air plus menaçante que cela, si ce n'était son apparence absolument immonde et répulsive qui lui donnait la trouille autant que la nausée. Pourquoi ne l'attaquait-elle pas ? Pour l'amadouer ?  « Pourquoi je vous croirai, hein ? Mais allez-y, prouvez-moi que vous n'allez pas me tuer. » lança finalement Wolfe en pointant sa faucille dans sa direction. La jeune femme, pour garder une certaine contenance dans sa frayeur, décida de faire les cent pas autour de lui.  « Dites-moi quelque chose que seul un vrai être humain ou un CAHO saurait. Si vous n'avez rien à me dire, je serai obligée de vous tuer par précaution gangsta. » Amelia s'en voulut aussitôt, elle-même ne connaissant pas grand chose du DARWIN'S GAME et des CAHO en général. Joueuse récente, elle s'était tenue loin des histoires de son équipe et des autres, ayant pour seul but de retrouver quelqu'un au sein du jeu. Le reste ne lui importait pas. Aussi, Wolfe n'avait aucune garantie que ce qu'il s'apprêtait à lui dire était vrai. Et puis, toute cette situation commençait sérieusement à l'agacer. Jamais encore elle n'avait été confrontée à une telle situation et ne savait comment réagir.  « Et puis merde, laissez tomber, j'sais même pas pourquoi j'parlemente avec un monstre. J'espère que vous savez vous battre ! » A ces mots, Amelia poussa la bête de ses mains pour ne pas l'attaquer directement. Une minuscule doute subsistait dans son esprit troublé par l'eau empoisonné. La douleur lui tiraillait la tête et le ventre. Elle ne savait plus si elle devait se fier à son instinct, sa vue, sa raison, ni même si elle était bien ici, au beau milieu d'une désert, par une chaleur écrasante. Tout sonnait tellement faux que c'en était pathétique. Wolfe n'aurait jamais du accepter cette mission. Elle aurait du trouver une excuse bidon et fuir le plus vite possible le quartier général quand il en était encore temps.  « Allez, battez-vous qu'on en finisse ! Tuez-moi aussi ! Ca servira à rien de m'amadouer si c'est pour me bouffez à la fin, allez-y ! » hurla-t-elle encore et encore, dans l'espoir de l'énerver un bonne fois pour arrêter de perdre du temps. Parce que tout ce qu'Amelia faisait, là, c'était perdre du temps. Gangsta disparu, cette bête l'empêchant d'avancer, leur mission était foutue et ils allaient définitivement crever dans ce désert hostile. Etait-ce ce qu'elle voulait ? Non. Alors s'il fallait perdre une vie – se reconnecter et retrouver Gangsta, d'accord. Tout sauf continuer de tourner autour de la bête sans savoir quoi faire.  « Alors quoi, t'es lâche ? T'as la trouille face à une nana, c'est ça ? T'as l'air beaucoup plus imposant que tu ne l'es, en fait ! » La CAHO laissa échapper un rire proche de l'hystérie. Elle était dans un tel état de nerfs qu'elle ne contrôlait même plus ce qu'elle disait, ou faisait. Le poison avait atteint la raison, emportant avec elle tout ce qui lui restait de bon sens.

Spoiler:

Wolfe laissa échapper un cri lorsque le monstre se jeta sur elle. Tous deux roulèrent au sol ; sa tête frappa le sol dur avec violence. Trente-six chandelles tournèrent autour de sa tête, et la jeune femme crut bien vomir l'espace d'un instant. Mais les yeux rougeoyants de la bête la dissuadèrent de baisser la garde plus longtemps. Un sourire carnassier se dessina sur ses lèvres quand elle vit le sang couler de la patte de l'animal humanoïde : il s'était blessé, elle allait l'achever.  « LÂCHE-MOI ! » hurla-t-elle de toutes ses forces en attrapant de la main ouverte dans laquelle elle planta ses dents de toutes ses forces sans vouloir le lâcher. Le sang coulait dans sa bouche, sur son visage pâle, le long de son cou. Cette fois, Amelia fut réellement prise d'un haut-le-coeur et le relâcha pour s'extirper de son emprise féroce. Dire qu'elle avait hésité à lui laisser la vie sauve ! Parlementer avec une bête sauvage n'avait aucun sens, elle en avait la preuve aujourd'hui. L'homme-monstre n'avait pas hésité à se jeter sur elle à la première occasion pour la dévorer, en continuant de lui faire croire qu'il voulait simplement qu'elle se calme. Elle rampa faiblement jusqu'à l'eau en se raccrochant au sol avec ses ongles et sa volonté de fer. Il fallait qu'elle boive un peu, que ce mal de tête cesse, que la nausée s'en aille. Amelia était certaine que si la créature ne l'achevait pas, elle crèverait de toute façon. Son ventre la faisait souffrir autant que le reste – sans parler de la chaleur inhumaine et étouffante qui les entourait.  « Sale bête, sale bête ... » geignit-elle, à bout de souffle et de force, allongée à plat ventre trop loin de l'aosis convoité pour espérer y tremper ses lèvres. S'il croyait qu'elle allait se laisser faire, il se fourrait le doigt dans l'oeil jusqu'au cou. Pourtant, la brune sentit les larmes lui monter aux yeux et se mit à pleurer, encore et encore, épuisant ainsi les dernières réserves d'eau que son corps pouvait contenir.  « J'ai mal … Tue-moi, j'ai mal … Pitié … » supplia-t-elle. La respiration d'Amelia se fit plus forte, plus saccadée. Pleurer l'épuisait. Tout cela était-ce bien réel, ou n'était-ce qu'un piège censé attendrir l'ennemi ? Quelle que soit la vérité, la douleur, elle, était bien présente.  « Chaud … Mal … Fatiguée ... » balbutia Amelia, la gueule contre le sable. Il lui sembla apercevoir un fennec plus loin, les oreilles dressées et le regard alerte. Sûrement était-il en train d'observer le monstre qui approchait d'elle, dans son dos. Peut-être serait-il témoin de son meurtre, prêt à témoigner en sa faveur si nécessaire, lorsque le jugement dernier surviendrait. Ou peut-être était-elle seulement en train de délirer.

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Amelia devait lui faire confiance. Une part d'elle même lui disait de croire. Ou peut-être sa fatigue la résignait-elle à ne plus attaquer Gangsta-monstre. La brune se retourna sur le dos en respirant trop fort, essuya son front trempé de sueur du revers de sa main.  « D'accord. Je te crois. De toute façon, j'vais crever ici. » Qu'elle finisse dévorer ou déshydrater n'avait pas d'importance : dans les deux cas, c'était tout sauf plaisant.  « Nan, j'y connais … Rien du tout. Chui juste une nouvelle joueuse dans c'jeu d'merde. » Et puis soudain, quelque chose s'écrasa sur le sol à côté d'elle et le visage d'Amelia reçut une éclaboussure d'origine inconnue, jusqu'à ce qu'elle y prête davantage attention. C'était l'une de ces fleurs censées regorger d'eau qu'on trouvait un peu partout sur les terres de Darwin Harbor. C'était bien la seule plante que Wolfe connaissait, puisqu'elle y avait trempé ses lèvres à de nombreuses reprises. Quant à connaître le nom …  « Tupipa … Beltus ? » tenta-t-elle en se redressant péniblement sur ses fesses. Bien sûr, celle-ci s'était brisée dans la chute et s'était vidée, mais cela signifiait qu'il y en avait … Au dessus de leur tête ? Amelia leva la tête – manque de retomber par terre – et ses yeux s'écarquillèrent sous le coup de l'horreur.  « Dis, Gangsta ou qui que tu sois, est-ce que ça aussi je l'invente, ou tu le vois comme moi ? » balbutia Wolfe en tremblant des pieds à la tête. En haut du palmier était perché un scorpion d'une taille anormalement grande. Le genre qu'on trouvait dans des mauvais films d'horreur se déroulant dans le désert. Du genre à avoir un dard de la taille de leur tête. Le genre devant lequel Amelia serait partie en courant et en hurlant si elle n'avait pas un sérieux trouble quant à discerner la réalité de son imaginaire.  « Dis-moi que tu ne le vois pas. » supplia-t-elle encore. Elle porta sa main au pommeau de sa faucille qu'elle serra à s'en faire blanchir les jointures des doigts. Étrangement, la douleur était devenue secondaire avec ce nouvel élan d'adrénaline qui pulsait dans ses veines. Récemment inscrite, elle n'avait pas encore eu le loisir d'être témoin de beaucoup de ces étrangetés dont tout le monde parlait. Des gros animaux, elle en avait croisé dans la forêt. Mais il s'agissait toujours de loups, ou d'ours ; là, c'était normalement un animal qu'elle pouvait écraser sous son pied. Ce scorpion, Amelia en était convaincue, allait prendre la revanche de tous ceux qu'elle avait anéantis dans sa vie.  « Pourquoi, mais pourquoi … » geignit-elle quand l'atroce entreprit sa descente vers eux. La fatigue la terrassant, la CAHO ignorait comment se battre dans un tel état. Peut-être était-ce temps de faire ses preuves en tant que tel. Parce que jusqu'à présent, elle était restée assez loin de sa team pour ne pas avoir à prouver quoi que ce soit. Tout ça était un test. Oui, tout était un test. C'était sûrement ça.

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Amelia observa d'un air ahuri Gangsta – en tout cas ce qu'il en restait – pourfendre la bête d'une dizaine de balles, et le gros cadavre s'effondrer à leurs pieds dans un bruit sourd. En le voyant approcher du scorpion, un  « attention » franchit la barrière de ses lèvres muettes jusqu'alors, et Wolfe tendit la main vers son partenaire monstrueux dans l'espoir vain de le retenir. Pourtant, un sourire immense se dessina sur son visage fatigué et poussiéreux quand il s'avéra que le scorpion était bel et bien mort, et elle rit même de bon cœur devant l'enthousiasme du CAHO. Elle aurait pu le remercier de leur avoir sauvé la vie, mais sa fierté l'en empêcha sûrement. Un sourire voulait tout dire, venant de Wolfe qui ne souriait que rarement, pas plus qu'elle n'était agréable avec les siens ou avec les autres. Elle but une longue gorgée de l'eau gardée par la fleur, l'abandonna vide sur le sol.  « Attend. » lança-t-elle en récupérant sa faucille pour déchirer un pan de son tee-shirt. La brune s'approcha lentement de Gangsta et, sans le brusquer, décrocha la fiole d'alcool accrochée à l'arrière de sa ceinture qu'elle ouvrit précautionneusement.  « Ca va piquer un peu. Si tu sens un élan de rage monter en toi, s'te plaît, me dévore pas. » A ces mots, elle versa un peu de son précieux breuvage sur la plaie pour la désinfecter et ne tarda pas à nouer le morceaux de son tee-shirt autour de sa main pour arrêter le saignement.  « Je rigole, bien sûr. Ton corps est redevenu normal, y a juste ta tête qui a cette … Apparence étrange. Et j'ai vraiment mal au ventre à cause de cette merde que j'ai bue. » Lèvres pincées, Wolfe acheva de nouer le tissu et recula d'un pas.  « On s'en fout s'ils nous croient pas. Nous, on sait ce qu'on a fait, c'est le plus important. Merci d'avoir été … Compréhensif ? » Wolfe sourit encore puis se détourna pour aller s'agenouiller devant l'oasis qui était sans doute aussi empoisonné que lorsqu'elle avait bu. Elle sortit sa gourde qu'elle remplit, dans l'espoir que l'eau cesse d'être empoisonnée quand viendrait l'heure pour l'oasis de ne plus l'être, et avec la ferme intention d'y regoûter plus tard. Juste une goutte. Le temps d'être sûre qu'il n'y avait pas d'effets secondaires. Parce qu'elle ne supporterait pas d'aggraver la douleur qui la terrassait, et la prochaine fois ils ne survivraient sûrement pas à un deuxième combat l'un contre l'autre. C'était une chance incroyable qu'ils aient réchappé à tout ça.  « On devrait y aller. Je n'ai pas envie d'attendre la maman enragée. » murmura-t-elle en reprenant la route, sac à dos jeté sur  son épaule négligemment.