Le soleil frappe mon visage, il meurtrit mes yeux de son orange hideux. C'est une fin d'après-midi bien laide et lorsque la nuit sera tombée je n'aurais plus que mes yeux pour pleurer. Je patauge seul dans les sables mouvants, carcasse parmi les squelettes. Je traverse les rues aux immeubles abandonnés comme une forêt d'arbre morts. Un homme perdu dans un cimetière de buildings mais un homme qui doit continuer d'avancer. Si les ténèbres me rattrapent cette ville deviendra mon cercueil, on ne fait pas de vieux os en territoires ennemis. J'ai l'air d'un estropié qui prend la fuite. Un grand homme d'age mûr à allure pressée, diminué par sa jambe abîmée, souvenir de son escapade en forêt. Je me dandine pour avancer à une bonne vitesse malgré mon infirmité. Je ne veux pas rester dans ces lieux plus longtemps. Il n'est pas sérieux d'aller chercher des ingrédients seul et on ne m'y reprendra plus. Jamais faire mes courses n'a été aussi dangereux. Je me suis mis en quête d'aconitum ninpoensis, d'eleocharis periclymenum et de chelone ponderosa. En réalité je n'ai besoin que d'un seul de ces composants, le reste n'est qu'un écran de fumée pour ce que je prévoie de faire, je ne connais d'ailleurs que l'unique ingrédient qui m'intéresse, j'ai vaguement lu au sujet des autres mais je n'en ai jamais vu. Je ferai des recherches en rentrant, si je rentre un jour. un maître chimiste digne de ce nom se doit de connaître la nature précise de tous ses éléments.


Je me résous à passer par une longue ruelle de coupe-gorge, celle-ci n'a pas lumière, elle est pavée de sang, murée de tags et vitrée d'impacts. Je sors enfin du tunnel anxiogène, retrouvant la lumière faiblarde du jour dans un croisement rues, un oasis citadin. Mais un pas feutré résonne jusqu'à mes oreilles, un être qui rampe dans les boyaux urbains. J'attrape ma grenade avec ma main droite et saisi mon revolver avec la gauche puis je guette, me dissimulant à moitié. Une silhouette se découpe dans l'ombre de la ville. Elle se déplace avec rythme sûr, connaissant probablement les lieux. Cette ombre fugitive se révèle être un homme qui s'extirpe de l'obscurité pour me rejoindre dans la lumière. Étonnamment, il n'est pas si jeune que ça. Les joueurs n'ont souvent pas passé la trentaine, ce qui justifie sans doute qu'on me traite de vieux con. L'homme arbore une démarche plutôt classe et se donne un air plus proche du père famille que du tueur en série. Je m'approche le plus calmement possible, dissimulant mes armes, masquant mon infirmité. Mon visage se détend et se fend d'un large sourire, une façade nécessaire à la socialisation « Bonsoir l'ami ! Qu'est-ce que qui peut bien amener deux gentlemen tel que nous dans un endroit aussi atypique ? ». Les mots claquent sur ma langue tandis que je juge des yeux mon interlocuteur, je me méfie des rencontres faites à la sortie des ruelles.