Nuit noire lorsqu’il ouvre les yeux. Non, pas la nuit, le bruit n’est pas le même, l’air est chargé de poussière, de particules particulières qui lui plombent les poumons, le font tousser quelques fois avant qu’il ne se redresse, assit sur le sol pour mieux respirer. Le silence l’agace. Sa vie est une musique épique incessante. Toujours du tambour et de la guitare en fond sonore, c’est une des seules choses qui lui manquent quand il s’évade dans cette réalité pixelisée. Pour le coup, ni musique ni tambour, rien que le foutu silence encombré de craquements venus des murs, des planches à moitié rongées. C’est le néant, le bordel. Oz aurait pu garder les yeux fermés, ça aurait été la même chose, il lui faut de longues minutes pour s’habituer, pour voir filtrer un rayon infime dans un interstice du plafond, mais cette lumière ne sert à rien, il ne voit rien et bordel il déteste ça. Pourquoi s’est-il réveillé ici, et pas à l’endroit où il a trouvé cette foutue porte la nuit dernière ? Qu’est-ce qu’ils ont encore foutu les développeurs ? Entre les zombies dehors –qui lui ont coûté plusieurs vies déjà, ces putains de bestioles qui s’accrochent et qui ne veulent pas lâcher- et maintenant ça, ils se foutent vraiment d’eux. Un jour il trouvera l’adresse de l’un d’eux, qu’importe s’il ne peut mettre la main sur les big bad boss, il s’attaquera aux larbins à la place. Mais en restant assis par terre, il ne risque pas de tuer grand-chose, à part lui-même, et de se réveiller là après. Aller, debout, il prend appui sur le sol et se dresse sur deux jambes pas sûres d’elles-mêmes, avant de refaire silence, d’écouter la moindre onde sonore.

Une respiration, à quelques pas peut-être. Ou à une centaines de pas, il n’a aucune perspective sonore, surtout dans un tel endroit. Mais il préfère se dire quelques pas, c’est moins terrible que de se dire trois pâtés de maison plus loin. « Bon. J’entends respirer, y’a quelqu’un ? Quelques pas de travers, les mains tendues, pour tenter de s’approcher de la source sonore – en espérant qu’il s’agisse d’un être humain, pas d’une créature ou d’un monstre. Quoique, un humain n’est pas forcément plus rassurant, il pourrait s’agir d’un CAHO, ou de n’importe qui de n’importe quelle team suffisamment instable pour devenir un danger. Pour que vous sachiez, j’suis armé, faites gaffe. » En disant ça, le soldat porte ses mains aux emplacements habituels de ses armes. Il n’y trouve rien d’autre qu’un seul pic, les autres ont visiblement disparu, et il grogne sans pouvoir s’en empêcher, merde hein, il peut pas vraiment se défendre avec ça. A part le plonger dans l’œil ou la carotide de son adversaire, et encore. Au bout de quelques secondes il parvient à poser la main sur un mur, se laissant guider par la surface rugueuse, s’écorchant la main sur chaque aspérité, tant pis, il préfère laisser sa main s’infecter que de marcher sans un appui. Il émet un petit sifflement, dans l’espoir vain d’appeler Baldr. Mais non, forcément, son clebs doit être tranquillement allongé en train de dévorer une autre de ces créatures mutantes. Putain de chien.

Boom. Grosse douleur dans le petit orteil droit. « BORDEL, PUTAIN DE BARAQUE. » Pour mieux aider, on ne sait jamais, ça pourrait effacer la douleur, il donne un coup de pied dans la brique sur laquelle il a buté, sans réprimer une flopée d’insultes. « Putain de développeurs, si je vous retrouve je vais vous… » Vous rien du tout, en vrai, à part leur foutre une mandale en pleine poire pour ces idioties qu’ils font endurer à leurs petits agneaux désenchantés. Maintenant il se tient sur un pied, tel un flamant rose en colère, refusant tout net de bouger, et pensant à sa vengeance. Il pourrait faire cramer la forêt, balancer des bombes sur la place centrale et dans chaque QG, les développeurs seraient bien emmerdés hein ? « Franchement, j’en ai déjà marre.»

Dans quelques heures il pensera sûrement l’inverse, mais pour le moment il hait ce jeu, ses créateurs, ceux qui l’ont façonné à cette image de drogue cruelle, et c’est avec plaisir qu’il exploserait leurs crânes sur le mur derrière lui. Chaque douleur le rend toujours colérique, et celle d’un orteil est bien pire. Le plancher craque alors qu’il avance vers le son, il finira par s’effondrer sous leur poids combiné, c’est pas possible autrement. Comment se sortir de là ? Si le chiffre de ses vies n’était pas descendu de façon astronomique suite à l’arrivée des zombies, il aurait probablement donné des coups de pieds dans le bois pour tomber au niveau de la terre ferme, quitte à en claquer. Mais l’encre sous sa peau le démange un peu plus à chaque connexion, il n’a pas envie de gaspiller une vie de façon si peu subtile. Mourir en jetant une bombe parmi les autres team ça passerait mieux. La respiration lui répond enfin après son cri de douleur –il était temps- et il se la ferme pour l’écouter.

Une menace qui le fait frissonner, une seconde avant qu’il ne suppose que la femme est, elle aussi, dépossédée de ses armes et de tout son attirail. Il n’a donc rien à craindre d’elle si ce n’est une voix qu’il est quasiment sûr d’avoir déjà entendu, il y a quelques temps, avant que toute cette folie ne se mettre en marche. Mais il n’a pas le temps de vraiment poser sa question qu’un moineau lui tombe dessus et il la rattrape du bout des doigts, manquant de s’effondrer à son tour, désorienté. Mais il ne peut pas s’empêcher de rire – pas trop fort, ce genre de rire qui secoue les épaules et qui ne daigne pas s’arrêter – lorsqu’il la relève et tâtonne pour vérifier si elle est bien debout. « Tu tombes enfin dans mes bras Birdie ? » L’évènement n’est plus si mauvais qu’il en avait l’air à son réveil.  Ils ne vont jamais s’en sortir vivants s’ils commencent déjà à se casser la gueule au moindre relief, mais pour le moment il y a plus important que ça, ce n’est qu’un truc annexe, s’ils ne bougent pas le bâtiment ne s’effondrera pas sous leurs pieds, n’est-ce-pas ? Le plus important, là, c’est la personne qui est à ses côtés, à portée de main, et qui n’est finalement plus une inconnue. « Se croiser ici, quelle bonne idée ! Les développeurs, la prochaine fois vous pouvez nous déposer au bar ? » Oz bouge, lentement, tout en douceur, pour pouvoir appuyer son dos contre le mur et essayer d’habituder ses yeux à l’obscurité totale. Ce n’est peut-être pas elle, leurs dernières rencontres datent d’il y a un an, un peu plus très certainement, il a cessé de venir aux soirées et à l’université au bout de quelques semaines, tout au plus trois ou quatre mois. Alors oui, c’est peut-être une fois ressemblante à la sienne, mais quelqu’un ayant la même voix que Bryden ne peut pas être négatif ? Il se perd dans ses réflexions et se reprend vite, esquissant un nouveau sourire invisible. « C’est Oz, si jamais t’as pas reconnu. Et un flingue, toi, sérieusement ? T’aurais l’air plus crédible avec des griffes. » Manquerais plus que ce ne soit pas elle, le monde n’est pas assez petit pour ça, ou alors les développeurs ont un sens de l’humour douteux, et il aurait probablement l’air très con, mais ça permettra de détendre l’atmosphère.  L’idiot du village fait de nouveau quelques pas vers elle, jusqu’à pouvoir frôler son épaule et l’envie d’en jouer, d’en rire, est plus forte que lui, il s’offre une voix sombre, à peine plus forte qu’un murmure vers elle, « Toi, moi, dans le noir, c’est tentant hein ? » Pitié que ce soit Bryden, sinon il pourrait tout aussi bien reculer maintenant avant de prendre un coup dans la face. Mais il est trop occupé à retenir un rire pour ça.