Les viscères de la bête fumaient. Déjà, l'un de ses congénères, plus gros et plus hirsute encore, s'approchait furtivement. Il huma le corps, le mordilla plusieurs fois, joua avec les membres flasques, piqua de ses griffes les globes oculaires sans vie, et, sans prévenir, se jeta dessus pour arracher à pleines dents de longs morceaux de chair sanguinolents. Dix secondes plus tard, il étaient trente. Le temps d'un soupir, et il ne restait plus rien. Ils avaient même pris la peine de lamper le sang qui s'était écoulé hors du ventre du cadavre. Ils détalèrent sans demander leur reste, leurs griffes raclant bruyamment les dalles grises fissurées couvertes d'excréments jaunâtres.

Lorsque seul le bruit du courant fut audible, Allen descendit le dernier barreau de l'échelle métallique couverte de rouille qu'il avait pu trouver, quelques minutes auparavant, sous une lourde plaque de ciment sévèrement fracturée marquée d'une croix de peinture noire. Le vieil homme avait dû utiliser une barre de fer tordue pour pouvoir dégager le passage. L'échelle était très longue, et les barreaux étant passablement friables, le vieillard avait manqué chuter à de nombreuses reprises. Ses avants-bras étaient, après deux minutes de descente, lourds, gonflés, et particulièrement douloureux. Ses problèmes de dos étaient vite revenus le troubler, et il s'était rapidement vu obligé de reprendre son souffle toutes les dix secondes. Les dieux soient bénis, le conduit de descente s'était avéré être étroit, ce qui lui permettait de s'arrêter en bloquant son pied ou son genou contre le mur d'en face.

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Après son humiliante et douloureuse défaite contre la garce au katana, Ressler s'était mis en tête de s'équiper plus sérieusement. Il consacrait toutes ses journées à la recherche de pièces d'équipement, mais ses découvertes restaient relativement peu fréquentes, et d'un intérêt tout juste passable. Il avait finalement pu mettre la main sur un gilet part-balles tout juste utilisable, sur lequel il avait dû remplacer trois des bretelles gauches, en utilisant des lanières d'un cuir usagé à la surface sèche et craquelée, mais toujours relativement résistant. Il s'était aussi empressé d'acheter, dès lors qu'il en avait eu les moyens, une magnifique carabine APR 308 Silence noire, fusil de précision silencieux de 7 kilos qui touchait précisément jusqu'à 800 mètres. Il l'avait rapidement emballé dans un épais morceau de bâche imperméable vert sombre sur laquelle il avait fixé une lanière de cuir doublé qu'il portait en travers du torse. Il avait placé son matériel d'entretien dans son baluchon, mais avait gardé la quasi-totalité de ses munitions dans la poche droite de sa veste.

L'idée d'aller vérifier les égouts lui était venues lors d'une discussion avec l'un des ses coéquipiers Atoms. Le jeune homme (que sa vieille salope de mémoire refusait de nommer) lui avait parlé des entrailles de la ville comme d'un endroit aussi terrifiant qu'exaltant. Lui-même n'y était resté que quelques minutes, ayant été obligé par une horde de rats colossaux de fuir le tunnel qu'il avait entreprit de visiter, avec pour objectif la découverte d'objets dont la valeur équivalait la hauteur des risques encourus. Le jeune homme lui avait fortement enjoint de ne pas s'y risquer, vieux et lent comme il l'était. Allen appréciait l'honnêteté, et l'en avait remercié, mais l'idée de trouver du matériel de qualité, et mieux encore, une nouvelle communauté, avait fortement piqué sa curiosité. Il ne lui fallut que quelques heures pour se mettre en route.

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Ce fut après dix minutes d'une marche prudente et attentive qu'il entendit les premiers cris. Sur sa droite, pas de doute. Il se retourna et entreprit d'inspecter le passage. Sa vue n'était certainement pas en aussi mauvais état que son dos ou ses poumons, mais il ne put rien apercevoir. Le tunnel dans lequel il se trouvait était immense, tout en longueur, et semblait ne pas avoir de fin. Des dizaines de passages souterrains, sombres et étriqués, rejoignaient dans un désordre confus la galerie dans laquelle il se trouvait. Probablement parce que l'un des tunnels principaux, il était, tous les vingts mètres, éclairés par de vieux néons, certes fatigués et tremblotants, mais qui pour le moment lui permettaient de ne pas utiliser sa lampe torche. Ce fut sous l'un d'eux, à plusieurs dizaines de mètres de lui, que s'écroula un homme, vraisemblablement couvert de boue et de sang. Ses cris s'étaient faits plus faibles, et devinrent bientôt de simples gémissements. Il tendit le bras, et, grimaçant, rugit comme jamais Ressler n'avait entendu rugir. Un coup de feu retentit. Le bras retomba mollement. Allen était pétrifié. Il se passa quelques secondes avant qu'il puisse entendre sa conscience lui rugir ses instructions. Tout en se morigénant silencieusement, il attrapa aussi vivement qu'il le put son fusil de précision, le déballa à la hâte, régla la lunette de précision, puis se positionna. Il calma rapidement sa respiration, pointa son arme vers la sortie du tunnel duquel avait déboulé l'inconnu, et attendit.