En retrait, Charles observe, silencieux, les défenses douteuses des rebelles. Il est surpris, toutefois, de les voir si... repentants. Pour des gens que l'on qualifie de terroristes, ils ne semblent pas assumer la gravité de leurs actes. Peut-être qu'ils regrettent, quelque part. Il serait prêt à accepter, à admettre que c'est plausible, à leur offrir une chance de se racheter aux yeux des autres.
Toutefois, c'est la réaction du reste, des GAIA supposément pacifiques, qui le pétrifient le plus. Des exécutions, des châtiments sauvages? Est-ce vraiment ce qu'on prône? Oeil pour œil, dent pour dent? Ça lui semble une solution inutile, sans fondement autre qu'un désir ardent de vengeance. Certes, c'est compréhensible. Il avait lui-même vu le chiffre de ses vies diminuer avec amertume, après tout. Il ne s'en était pas sorti indemne, et c'était injuste - bien que prévisible - que ces traîtres se soient éclipsés sans demander leur reste, sans souffrir au même titre que les camarades qu'ils estimaient ainsi sauver. D'autres ont des opinions moins extrêmes, heureusement.

« Je... » qu'il entame d'une petite voix, se voyant aussitôt coupé par Viviane, qui ne l'avait sans doute pas entendu. Il reprend, d'une voix plus forte, lorsqu'elle semble venir à bout d'arguments. « Je suis d'accord avec Gattaca. » Certes, son opinion ne valait pas grand-chose, peut-être. Et encore moins maintenant qu'il se rangeait du côté de la dissidence. « Ça ne sert à rien de perpétuer le cycle de violence. Si l'on doit les châtier, alors qu'on les exile. Dans le désert, pourquoi pas. Ce n'est pas une mauvaise idée. Mais... autant éviter que d'autres têtes roulent inutilement. Leur culpabilité n'est pas mise en doute, mais ça me semble inutile de déchirer davantage les liens qui soudent ceux d'entre nous qui tiennent encore à un semblant d'unité. » Il se pince les lèvres, puis se tait un instant après un coup d'œil dans la direction de Mera. « Ils se feront oublier s'ils souhaitent se préserver, que ce soit dans le QG ou en exil. » Autrement, les autres teams tomberaient sur eux, et n'auraient pas la pitié d'Archimède. Il reprend son souffle, nerveux. Il n'était pas prêt à laisser tomber son chef - sa belle-sœur -, même si ça voulait dire aller à l'encontre de sa nature. Prendre la parole devant un si grand auditoire lui aurait donné la nausée en d'autres circonstances.

Quinn avait le sentiment que le jeu déteignait bien trop dans son existence, perturbant jusqu’à sa notion des jours passés, des heures écoulées. Dernièrement, les événements s’étaient enchaînés sans discontinuer. Elle avait eu des échos du festin-attentat, elle avait fait la première rencontre officielle avec son père, elle avait découvert qu’il faisait partie du Darwin’s Game et aujourd’hui… Le mot avait couru sur les ondes, le message avait été transmis sur toutes les plateformes possibles. C’était ce jour que les traîtres seraient jugés. Inutile de dire qu’il aurait fallu une fin du monde pour la tenir éloignée de son clavier à cette annonce. Elle s’était connectée bien trop tôt, avait été forcée de faire les cents pas dans leur nouveau refuge, avait dévisagé les autres GAIA avec une ombre permanente dans le regard. La méfiance. Outre les dégâts et les répercussions drastiques des actes perpétrés par les terroristes, ils avaient instillé un nouveau poison dans leur propre team. Un parfum de paranoïa se fleurait dans tous les sillages, embaumant les rencontres d’amertume et de froideur. Cela n’avait rien d’étonnant chez quelqu’un comme Daredevil, mais elle se sentait étrangement peinée de constater ce comportement chez ses frères et sœurs. Et c’était entièrement leur faute.

Engloutie par les ombres, l’éclaireuse avait observé les différents protagonistes exprimer leur opinion, ses orbites creusant dans l’âme des orateurs jusqu’à en extirper le sentiment prédominant. Ce fut la déception attristée d’Isaÿr qui la frappa le plus, sa colère demeurant compréhensible, mais son mal difficile à accepter pour la loyale GAIA. L’appel de Nightingale résonna également en elle, alimentant le brasier de son cœur. Justice. Revanche. Œil pour œil, dent pour dent. Vie pour vie. Pourtant elle ne désirait pas tuer les joueurs, juste les avatars. Elle n’était pas comme eux ; elle ne s’abaisserait pas à ce genre de cercle vicieux. La clémence proposée par Gattaca – elle cilla, peu accoutumée à le voir comme son père – avait du sens également, bien qu’elle demeura peu attrayante pour la guerrière en proie à une rage silencieuse. D’autres membres s’avancèrent, tour à tour, tantôt conciliants, tantôt punitifs. Elle les écouta. Tous. Comme elle avait écouté silencieusement les quatre prisonniers. Finalement, dans le silence généré par l’intervention d’Itzpapalotz, elle s’extirpa des ténèbres. Un nouveau joueur présent depuis quelques jours sursauta en la voyant surgir du néant ; elle ne lui accorda pas un seul regard, ses prunelles d’onyx rivées sur les silhouettes prostrées.

« Eremir. Irina. Lagertha. Dryade. » Lentement, leurs pseudos glissèrent entre ses dents serrées. « Je suis entièrement d’accord avec vos motivations, avec vos pensées. » Pas à pas, elle décrivit un cercle autour d’eux. « Je vous comprends. J’ai eu les mêmes réticences lorsqu’Isaÿr a pris cette décision. Comment ne pas en vouloir à ceux qui nous ont privé de notre foyer ? » Elle s’arrêta devant Adélia, lèvres plissées, regard impassible. Le cuir de sa tenue craqua lorsqu’elle s’accroupit face à elle. « La seule chose qui m’a évité de finir à vos côtés, c’est mon humanité. » Daredevil savait que sur certains visages, des moues devaient se faire en l’entendant. Elle n’était pas réputée pour être la plus humaine des siens, beaucoup la pensaient plus sauvage qu’elle ne l’était réellement, mais elle s’était servie des aprioris pour se créer une image. Dure, impitoyable… un reflet accentué des fragments qui la composaient déjà. Elle se redressa, continuant son chemin, s’immobilisa quelques secondes devant eux. « Ma loyauté. » Lagertha. « Ma compassion. » Irina. « Mes espoirs. » Eremir.

Se détournant finalement d’eux, elle pivota vers la frêle jeune femme qui portait sur ses épaules le destin de toute une équipe. Tirant une flèche de son carquois perpétuellement suspendu entre ses épaules, elle la tendit vers Mera, pointe en avant. Puis, laissant une seconde s’écouler, elle baissa la tête et mit un genou à terre.

« Ma confiance en Isaÿr. Je ne vous en veux pas d’avoir fait exploser nos ennemis, je ne vous en veux pas d’avoir fait ce qui vous semblait juste. Parce que j’aurais fait de même sans elle. Ce sont ses choix qui nous ont permis de grandir, de nous étendre, de devenir une force qu’il ne fallait pas négliger. Que nous la suivions par choix ou parce qu’elle s’est imposée, le résultat est là. Et c’est cela que vous avez bafoué par vos actes. La légitimité de notre chef. » Dans un mouvement fluide, elle se remit sur ses deux pieds, brisa la flèche et la jeta devant Dryade. Ses prunelles jetaient des éclairs à la ronde. « L’exil. La perte d’au moins une vie. Voilà ce que j’exige. Aucun acte ne devrait rester impuni, surtout pas au sein d’une team qui a toujours été comme une famille pour ses membres. Vous avez tué des frères, des sœurs. Vous avez trahi la confiance que nous avions en vous. Mais je ne veux pas avoir votre mort, la dernière, sur ma conscience… vous ne méritez pas que je m’abaisse à ça. » Quelque part dans sa tirade, Daredevil perdit un peu de son assurance. Les traits de Quinn se superposèrent à la sévérité de son avatar. « J’aurais donné ma vie pour vous. Je l’ai déjà fait. Je comptais certains d’entre vous comme des amis. Je vous faisais confiance. »

Elle secoua la tête, positionnant à nouveau le masque de la guerrière sur ses yeux sombres. Progressivement, la GAIA s’éloigna des traîtres. Elle marqua un temps d’arrêt à la frontière entre l’ombre et la lumière.

« L’exil ne vous protégera pas de ma colère, pas plus que vous n’avez été freiné par la présence de votre propre team lors du festin. La chasse est ouverte. »

C'était dommage qu'ils doivent en venir à ça. Déjà scindée par l'arrogance des rebelles, l'unité des GAIA se voyait encore plus tiraillée par les divergences d'opinion entre le reste des membres. Archimède s'était prononcé brièvement, mais n'avait pas insisté; maintenant, la sentence tombe et il regrette ne pas avoir su se faire plus convaincant. Isaÿr, à son avis, prononçait deux mots de trop, un ordre qui n'était pas nécessaire. Ce qui le décevait encore plus, c'est que certains allaient obéir sans broncher. Gattaca avait quitté en furie après des mots qui avaient su surprendre Archimède par la rage qui les animait, mais il se devait d'admettre qu'il comprenait le sentiment derrière ceux-ci.
Une poignée de verts quittent la salle, Archimède parmi eux. Il n'ose pas décocher à Isaÿr le regard déçu qui le ronge, sachant pertinemment que le mal était fait. S'il garde une profonde rancune envers les rebelles et la mauvaise gestion de leurs revendications, confiant qu'un tel événement aurait pu être évité s'ils avaient seulement cherché une autre façon d'exprimer leur mécontentement, il regrette tout autant la décision de leur chef et l'empressement de Nightingale à exécuter ses ordres.