A l’ordre brutal d’Isaÿr, le sang de Quinn se figea. Ses poings se serrèrent, luttant contre deux pulsions totalement différentes : tourner des talons ou empoigner la première arme pour mettre fin à ce jugement inutile. L’exil avait été prononcé, néanmoins elle s’attendait à cette injonction de la part de la cheftaine. Il fallait qu’ils paient, il fallait donner un exemple. Qui plus est, transporter un corps sans vie était plus simple que quatre prisonniers potentiellement agités. Mera se détourna du spectacle la première, probablement épuisée et dévastée par les choix qu’elle avait dû faire. Si sa sentence était prévisible, cela n’avait pas rendu son annonce plus facile pour la jeune femme. Les prunelles de l’éclaireuse restèrent rivées à sa silhouette lourdement encadrée jusqu’à ce qu’elle disparaisse totalement. Pendant ce temps, Nightingale s’était avancée pour honorer les volontés de leur leader. Quinn resta dans la pénombre pendant qu’elle finissait Lagertha, un geste qui remua la foule. En bien comme en mal. Markus s’avança pour la bousculer, sa rage et son écœurement se lisant distinctement dans le ton de sa voix. Les doigts que Daredevil avait resserré sur le manche de son couteau artisanal se relâchèrent devant sa fureur. N’avait-il pas raison, au fond ? Était-ce la seule solution envisageable ?

Un à un, les orateurs du pardon quittèrent la salle. Seuls les GAIA dévorés par l’injustice et un sanglant désir de revanche demeurèrent. Quinn était parmi eux. Svenja aussi. Elle croisa son regard brièvement, revenant vers les prisonniers lorsque Smaug se rapprocha d’eux. Quelle allait être sa cible ? Quand il pointa son arme sur la tête de Dryade, le premier réflexe de Daredevil fut de s’interposer. Elle fit quelque pas avant de se rappeler : elle avait trahi. Et aussi fort Quinn souhaitait-elle leur pardonner, elle n’y parvenait pas. Pas encore. Peut-être jamais. Ils avaient du sang sur leurs mains – plus seulement du virtuel, malheureusement. Elle sursauta au coup de feu. Plus que deux. Eremir et Irina. Le démon rouge crevait d’envie d’en finir, et la mécanicienne voulait simplement se déconnecter. Trouver une porte de sortie. Écluser des bières ou s’enivrer de shoots. Oublier. Tout oublier. L’ordre d’Isaÿr demeurait dans son esprit : « Tuez-les. » Pourquoi ne pas être restée dans ce cas ? Pourquoi exiger de son équipe un tel acte, alors qu’elle ne pouvait pas se résigner à y assister ? Parce qu’elle savait à quel point c’était mal.

Quelqu’un d’autre dans la foule, arme au poing, marcha vers les prisonniers. Daredevil perçu dans son regard la folie, la douleur. Isaÿr avait demandé de les tuer, pas de les faire souffrir. Et Markus n’était plus là pour la juger… Elle retint le GAIA revanchard par un pan de sa veste, le tira en arrière.

« Ils m’appartiennent, » gronda-t-elle d’un ton autoritaire.

Puis, sans lui laisser le temps de répliquer ou qu’un autre prenne sa place, elle s’avança vers le duo restant. Elle ne les connaissait pas aussi bien qu’elle aurait aimé le faire. Peut-être était-ce plus simple ainsi, finalement. Mais quels que fussent ses ressentis en cet instant, elle n’avait pas retenu l’autre pour se montrer aussi brutale. Ce n’était pas ce qu’Isaÿr aurait voulu. Ce n’était pas ce qu’elle attendait d’eux. La colère demeurait cependant, flamme agressive dans ses prunelles, néanmoins c’est avec un ton plus doux qu’elle s’exprima :

« Mieux vaut moi qu’eux. Vous ne sentirez rien. Je vous le promets. » Tout comme elle leur avait promis de les traquer. Elle se redressa, sa main gauche s’enroulant autour du surin dissimulé dans sa botte. Elle savait où frapper pour que leurs vies s’éteignent en quelques secondes. « Fermez les yeux. Ou regardez-vous. Oubliez le reste. Ce sera rapide. »

Et ce le fut. D’un geste souple, vif, elle trancha dans la chair, frappa profondément. Sans même un frémissement. Sans une once de regret. Alors que la vie s’échappait d’Eremir et d’Irina, elle les observa en silence. Si la foule hurlait son assentiment, elle ne l’entendit pas. Elle se focalisait sur son propre leitmotiv : ils ne sont pas vraiment morts. Ils ne sont pas vraiment morts. Essuyant sa lame sur son pantalon, comme l’avait fait Nightingale juste avant elle, elle se détourna du spectacle et sortit. Droite. Impassible. Puis lorsqu’elle fut certaine que personne d’autre ne pouvait la surprendre, Quinn vomit tripes et boyaux dans un fourré. Parce qu’elle savait… Elle n’en reviendrait plus jamais. Elle s’était laissée corrompre et marquer et avilir. Elle essuya les larmes qui s’étaient mises à couler sur ses joues, renifla bruyamment, resserra sa queue-de-cheval haute. Il n’y avait plus personne pour la sauver du Darwin’s Game. Elle s’était perdue seule dans ce maelström infernal. Elle ne pouvait plus faire machine arrière. Elle ne pourrait plus regarder son reflet dans un miroir. Elle ne pourrait plus regarder Markus dans les yeux.