Lettre en main, silhouette devant la porte coulissante, je ne parviens pas à la franchir, une nouvelle fois. Mes doigts se resserrent, par réflexe, autour de l’épaisse enveloppe, mes lèvres se pincent et mon cœur s’agite étrangement. C’est ma sœur là dedans… Qui est en train de mourir, lentement, mais sûrement, d’une maladie réputée difficilement curable. Par certains aspects, je suis moi aussi en train de mourir, mais c’est un autre débat. Elle, elle est malade, dans un lit d’hôpital, et je n’ai même pas les tripes d’entrer pour la rencontrer. Probablement ais-je trop peur de ce que je pourrais dire… De l’effet que je pourrais lui faire. Rien qu’à l’idée de l’effrayer et de l’exclure de ma vie, rien que par ma présence, mes propos, je sens mon cœur s’affoler et je ferme les yeux, pour tenter de le calmer. La peur de ne pas être assez bien pour cette sœur, probablement aimée, désirée, choyée, avec tout dans la vie, m’a pris aussitôt lorsque j’ai lu cette lettre pour la première fois et c’est ce qui me fait autant hésiter. L’évidence de n’être qu’un médicament pour elle me paralyse et m’empêche de faire le premier pas vers elle. Je n’attends pourtant que ça, une famille, une personne pour qui je donnerait tout et à qui je pourrais confier n’importe quoi sans être jugé… Je voudrais être considéré de cette façon, mais un pressentiment, m’empêche d’avoir confiance en elle, en l’amour qu’elle devrait pouvoir ressentir pour moi…

Pourtant, pour la toute première depuis presque deux semaines, la porte s’ouvre et c’est enfin un pas que je fais vers elle. Puis un autre et bientôt, me voilà devant la réception. Le trajet, pourtant court, s’est déroulé comme dans un rêve et lorsque la dame me demande ce que je veux, je me retrouve muet, plusieurs secondes. C’est une femme, cela ne m’aide donc pas une seconde à prononcer les mots qui sont pourtant juste là, à portée. « Davis… Marloes Davis ! » Le nom est imprimé dans mon esprit depuis ma première lecture… Mon père s’appelle Davis… C’est probablement ce qui me fait le plus peur finalement. Qu’il puisse être là, dans la pièce que vient de m’annoncer la réceptionniste et dans laquelle j’hésite maintenant à me rendre. Mes yeux se posent sur l’ascenseur, chemin obligatoire vers ma destinée ou mon enfer… Et de nouveau, mon corps refuse de m’obéir et me jette de lui-même dans la gorge du loup. C’est maintenant devant sa porte que je me trouve et je tapote trois coups légers sur le bois, dans l’optique de la déranger le moins possible. Mon cœur bat cette fois à tout rompre et je suis étonné qu’il n’explose pas sous la pression. Mes mains tremblent, ma gorge est sèche, ma tête tourne et tout cela, sans même l’avoir encore vue. Enfin, dernière impulsion, j’attrape la poignée, la tourne et vient enfin observer cette femme. Cette inconnue qui est pourtant ma sœur, mon sang, ma famille… Celle que je n’ai jamais connue et que je ne pensais pas avoir.

Mes yeux se posent sur elle et je ne peux que remarquer sa beauté, dissimulée pourtant derrière la maladie. Mes lèvres s’entrouvrent lorsque je veux parler, mais le son ne sort pas, je suis de nouveau effrayé. Un petit garçon, face à une adulte. C’est une femme. C’est ma sœur… Autant de raisons qui me font la fixer sans prononcer un mot. C’est une magnifique façon de passer pour un fou total et la première impression que je dois être en train de lui faire est probablement très loin d’être positive… « Vincent… Je… m’appelle Vincent je… Ravi de te rencontrer. Tu… Enfin je veux dire je… Enchanté… » Et la seconde n’est pas mieux puisque je m’embrouille, que mes propos ne ressemblent à rien et que c’est à un fou qu’elle doit croire avoir devant elle…