Ses pas la guident dans ces quartiers qu'elle ne connait pas. Ses yeux ne sont pas rivés sur ces grandes maisons de centre ville. Non, ses yeux sont virés sur son écran de téléphone. Sur son GPS, elle suit son curseur de localisation et guette le moment où il ne fera qu'un avec le curseur indiquant l'arrivée. Hazel est rapide, elle a hâte. A aucun moment un éclair de culpabilité ne la prend. La blonde a utilisé le numéro de téléphone d'Eurydice pour connaître son adresse. Stalkeuse ? Un peu, mais elle voulait vraiment la voir. Elle a pris ses distances depuis leur séjour en prison. Elle a peur de ce sentiment qu'elle a créé, elle tente de le fuir. En vain, là elle souhaite tout chasser de sa tête. Recommencer et surtout, la voir elle. Atlas a appris tardivement que c'était Snake qui représenterait les Eshu. Elle a l'appris quand elle l'a vue face à trois autres filles dans une arène. Atlas, elle était à la fois fière et à la fois en colère. Elle a compris que Snake représente les Eshu dans sa tête. Cet esprit de famille, Hazel ne l'a pas. Elle voit en chacun d'eux une personne dévouée pour l'équipe, dévouée pour sa protection. Et il y a Snake, celle pour qui elle, elle se dévouerait. Elle avait eu beaucoup d'admiration et beaucoup d'incompréhension.

Eurydice aurait pu lui dire, c'est ce qu'elle se répétait tout le temps. Maintenant qu'elle se trouve face à sa maison, elle hésite une seconde. Tant d'efforts pour cette fille... c'est étrange aussi. Hazel expire et passe nerveusement sa mèche derrière son oreille. Même sa capuche sur la tête la gêne alors qu'elle adorait ça. Elle jette un dernier coup au GPS, comme s'il aurait pu se tromper, comme si ça ne pouvait pas être là. La maison est endormie mais elle ne veut pas entrer par effraction. Pas si c'est chez Eurydice. Alors elle l'appelle, chose qu'elle n'a jamais fait auparavant. Hazel guette les fenêtres depuis le trottoir d'en face pour voir si elle vit bien là, si elle est bien là. Son cœur fait un bond quand elle entend cet éternel note de l'attente. Il fait deux bonds quand elle voit de la lumière apparaître à l'étage mais elle coupe direct avant d'entendre un « Allo ».

Elle a toute l'adrénaline nécessaire pour enjamber le portail pour trouver un moyen de grimper jusque à cette fenêtre. Elle l'a fait mille et une fois dans le jeu et c'est la première fois qu'elle le fait dans la réalité. Pourtant, Hazel a la sensation d'avoir les mêmes ailes dans le dos. Elle trouve tous les appuis qu'elle a besoin sans se douter une seule seconde que ce qu'elle fait est dangereux, que ça pourrait lui coûter sa vie. Mais vraiment, elle n'en a rien à foutre. Arrivée là-haut, elle toque. Doucement. Trois fois.

Finalement après avoir grimpé, Hazel n'a pas eu de mal à se faufiler dans la chambre de Snake. Cela en était presque inquiétant. Eurydice s'est redressée illico au son de ses pas, quoi de plus normal quand une légère brise vient de pénétrer dans votre chambre. Hazel, elle retire sa capuche et remet en place son bonnet rouge. Porter un couvre chef est devenue une habitude chez elle. Plaquer les cheveux, cacher son tatouage de son nombre de vie... Si ce n'est pas un bonnet, elle porte une casquette. Là n'est pas la question. Malgré la faible lumière, l'encre de tes yeux est visible. Ca doit changer Eurydice du doux gris habituel.  La brune ne s'en rend pas encore compte mais Hazel est incroyablement frustrée. C'est à la fois un exploit et une nouveauté pour Newton. Exploit car être hors de soi, c'est un état important pour extérioriser ce qu'on pense. Elle n'a d'ailleurs pas conscience  qu'elle s'apprête à être sincère avec Eurydice.

Elle murmure son nom. Elle annonce son nombre. Elle déclare pouvoir recommencer. Les lèvres de la skateuse se décousent.

Je m'en fiche.

Hazel fait les cent pas alors que le parfum de sa camarade prend d'assaut ses narines. Ouais, son parfum à elle. Quelle sotte. Ce détail la surprend un peu alors qu'elle se trouve dans sa chambre. Ses yeux quittent rapidement ceux d'Eurydice pour balayer le sol.  Elle ne sait pas par où commencer.

Pourquoi tu ne m'as rien dit ?

C'est un reproche amer et autoritaire. Hazel n'en savait rien de la prochaine représentante des Eshu pour le jour de l'unité. Elle savait encore moins qu'il s'agirait de sa partenaire. Des gradins, elle l'a vue l'épee de Damoclès se suspendre au dessus de sa tête. Hazel se sentait juste impuissante et étrangère face à ce qui arrivait. Plein de raisons l'ont poussée à se pointer in real life. A commencer par son sentiment de trahison.

Elle dit son prénom. Elle dit son pseudo. C'est âcre pour Hazel. Elle est plantée devant Eurydice avec les lèvres cousues. Elle boit tout son blabla, hermétique aux subtilités car la blonde est en désaccord. Son insensibilité, Hazel ne la cache pas. Elle plombe son regard dans son iris, sans percevoir les paroles du cœur de la brune.

-Je m'en fous.

Le silence amer s'installe, Hazel prend conscience trop tard. Pourtant elle répète :

-Je m'en fous Eurydice.

Elle casse, c'est sec et c'est teinté d'une colère non identifiée. En vrai, elle est à deux doigts de pleurer, elle n'a jamais connu cette espèce de sentiment de trahison.

-Les Eshus sont les Eshus. Ta vie c'est ta vie. Et les Eshus ne méritent pas que toi, tu perdes une vie. C'est pas une famille Eurydice, on se sert de nous comme on se sert des autres ! On est des meurtriers mais j'veux pas que tu perdes une vie en spectacle. Je ne sacrifierais jamais ma vie pour le plaisir des autres. Je survis moi. Toi par contre...

Sa voix se tue et elle soupire.

-J'ai pas envie que tu te fasses avoir par des illusions. La réalité est cool aussi. J'ai pas de famille mais je vais pas dire que ces gens sont ma famille.

Son discours connait un virage inattendu. Hazel est venue engueuler Eurydice et voilà qu'elle se confie, qu'elle partage ses craintes. Parce que dans le fond, la brune et la blonde se ressemblent, Hazel en a conscience et elle ne peut pas la condamner. Elle vient faire la leçon alors qu'Eury peut lui donner la même. Hazel ne connait ni leçons ni famille, ni compliments. Alors quand la brune lui dit que pour elle c’est différent, Hazel sent le pourpre lui monter aux joues. Elle ne réagit pas si vite habituellement. Mais habituellement elle ne s’introduit pas dans la chambre de quelqu’un qu’elle pour engueuler ladite personne.